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Sur la
forme de « Je me souviens… » de Georges Pérec.
Quelques souvenirs
Mes années d’apprentissage au Centre de Formation
de la Compagnie des Compteurs de Montrouge de 1965-1969.
Par Pierre Chauvin
• Je me souviens, au 73 rue Gabriel Péri, de l’entrée en flot continu
des travailleurs dès 7h15 et, dans l’autre sens, des départs des
mobylettes des releveurs des compteurs d’eau de la Ville de Paris. La
sirène sonnait chaque quarts d’heure.
• Je me souviens, il y avait près de 6000 personnes qui travaillaient à
la Compagnie.
• Je me souviens que nous étions près de 1500 à concourir pour pouvoir
prétendre à entrer au Centre d’Apprentissage et de Formation de la
Compagnie des Compteurs de Montrouge pour la sélection, en première
phase, de quelques 60 « heureux élus »
• Je me souviens de la deuxième phase. Séance animée par M. Coudoin.
Nous étions une dizaine autour d’une grande table avec un jeu de
construction constitué de pièce en bois et il fallait imaginer une
ville et toute son organisation. Le moniteur prenait des notes.
• Je me souviens de la rentrée, le 15 septembre 1965 : Nous avions 16
ans et nous étions tout nouveaux, posés comme des « I » dans la cour de
mâchefer noir face au bâtiment en préfabriqué, en attendant l’appel.
• Je me souviens, nous étions « les bleus » pour les 2ème et 3ème
année… Le bizutage allait pouvoir commencer.
• Je me souviens, au fond de la cour, des vestiaires où nous devions
mettre la blouse bleue d’atelier. Nous n’allions pas la quitter pendant
plus de 2 mois afin de suivre la progression « Méthode Carrare » qui
nous a permis de maîtriser tous les outils et gestes indispensables à
l’apprentissage du métier d’ajusteur mécanicien.
• Je me souviens que je me demandais ce que je faisais là, dans une
école où il n’y avait aucun cours théorique et ou l’on tapait comme des
malades sur le bédane et où l’on sciait, perçait, usinait, limait, des
bouts d’acier de laitons ou de duralumin… Plus de 8 heures d’atelier
par jour … Mon Dieu qu’elles étaient longues ces journées !
• Je me souviens qu’il faisait encore nuit le matin à notre arrivée et
il faisait nuit le soir à l’heure de la sortie.
• Je me souviens de notre premier repas à la cantine du centre. C’était
un self-service : merveilleux ! Cela nous changeait de la cantine du
collège d’enseignement général. Nous pouvions composer le menu suivant
nos propres goûts. Malheur à tous ceux qui prenaient une bière en
bouteille ! Nos charmants aînés de 2ème et 3ème année, d’un coup de
verre sec sur le goulot de la canette, faisait déborder la mousse… La
bière, alors, se répandait sur le festin promis, le rendant comme une
plage après le passage d’un Tsunami. Ce genre de bizutage a duré un
mois durant.
• Je me souviens que, dès le premier jour de la rentrée, nous avions le
droit de fumer pendant les pauses et à la cantine du centre, sans se
planquer ! Autre époque ! C’était celle des gauloises bleues et des
gitanes sans filtre.
• Je me souviens qu’il me fallait près d’une heure de transport le
matin du Kremlin-Bicêtre, où mes parents habitaient, à Montrouge. Je
prenais l’autobus 125 à la mairie du Kremlin. Il arrivait parfois qu’il
ne s’arrête pas car il était complet. Il fallait alors attendre
patiemment le suivant…
• Je me souviens de ma première « note de comportement » du premier
trimestre : 5/20. Elle reflétait, sans doute, mon manque de passion
pour cet enseignement professionnel « innovant » Pour améliorer son
image et son attitude, je me souviens des conseils donnés à mes parents
pour redresser la barre par M. Amiel: Tenue correcte exigée : Port des
cheveux longs fortement déconseillés. Esprit pratique. Attitude
positive. Et tout ira bien
• Je me souviens du tableau des évolutions de carrière des apprentis
(en fonction de la filière choisie) affichée dans la salle du
secrétariat du Centre de Formation :
CAP Ajusteur - CAP Tourneur - CAP Dessinateur Industriel - Brevet
Professionnel de Mécanique Générale - BTS en cours du soir de promotion
sociale et puis, presque le paradis sur terre, par promotion interne ou
par le CNAM, l’aboutissement par l’obtention du statut d’ingénieur
Maison.
• Je me souviens des cours de mécanique de M. Personne qui consistaient
seulement en une lecture monocorde des cours du télé-enseignement
(CNTE) Peu d’entre nous eurent à ce moment l’attention nécessaire à
cette noble matière quelque peu soporifique.
• Je me souviens des discussions animées le midi à notre table : la
guerre du Vietnam : pour ou contre ? Les Élucubrations d’Antoine et du
petit Dutronc. Vous aimez ? Dylan ou (et) Hugues Aufray ? Le jazz
est-il une musique Noire seulement ? Les Stones ou (et) les Beatles ?
Boris Vian était-il un génie ?
• Je me souviens des souvenirs de jeunesse du très rougissant petit
professeur de Français de première année tout juste sorti du séminaire
: M. Cothon. Repas familial chez les De Gaulle avec le Général. Tout un
programme.
• Je me souviens du fard (rouge rouge !) que prenait M.Tisserand,
(professeur de Dessin Industriel 1ère et 2ème année), quand la belle
Suzanne (secrétaire du Centre de formation) entrait durant le cours
pour quelques formalités administratives. Je me souviens aussi de son
embarras pendant les visites de M. Peurozet (professeur de dessin
Industriel, 3ème année.)
• Je me souviens qu’après les visites de la belle Suzanne, les formats
A5 (punition célèbre au centre) nous tombaient dessus aussitôt.
• Je me souviens des cours de Photos à la SAIA donnés par M.Chapalain
(Chat pas loin ) l’intendant du Centre, des cours de vitraux avec une
charmante jeune diplômée d’arts appliqués, des séances de Cinéma Club
dans la salle de cours et, plus tard, à la cinémathèque Henri Langlois
au Trocadéro.
• Je me souviens de M. Cathelot qui nous avait emmenés à l’une des
toutes premières projections du film d’Antonioni « Blow up », un jeudi,
juste avant Noël 66. On y voyait pour la première fois une jeune
Anglaise délicieuse, du nom de Jane Birkin. Elle devait avoir tout
juste 18 ans.
• Je me souviens de l’absence, un beau matin, de nos collègues Ducloy
et Goussard. Suite à une discussion « altercative » et plutôt virile au
stade de Montrouge, juste la veille, dans les vestiaires après le
sport. On ne devait plus les revoir car ils ont été exclus sur le
champs.
• Je me souviens de Pierre Goussard qui était fou de Rock & Roll et
qui nous a fait découvrir plein de bonnes et belles musiques.
• Je me souviens de Francis Ducloy qui limait parfaitement plat,
sûrement le meilleur d’entre nous.
• Je me souviens de l’épreuve pratique du CAP Ajusteur dans les locaux
de l’usine Citroën Quai de Javel : Des immenses perceuses à colonnes,
de la pénombre et de la vétusté des ateliers.
• Je me souviens que l’outillage (limes, forêts, scies, instruments de
mesure), pesait lourd dans les sacoches.
• Je me souviens de ce matin-là, dans la traction de mon pote Jacques,
de la traversée de Paris qui s’éveillait aux alentours de 6 heures :
des camions pleins de lait et de charbon, des balayeurs plein de
balais, les gens se levaient déprimés. Pour nous, c’était l’heure d’y
aller…
• Je me souviens de notre décision, à quelque uns, de ne pas venir
travailler le lundi matin au lendemain de l’épreuve pratique du CAP
Ajusteur qui s’était déroulée le samedi et le dimanche. Le mardi matin,
nous, les déserteurs, nous nous sommes tous retrouvés au secrétariat
pour entendre M. Marlat (directeur du centre ) le nœud papillon de
travers et tremblant, nous sermonner en nous promettant les plus
lourdes et plus exemplaires sanctions pour cet acte de désertion et
d’insoumission inconcevable. Nous étions devenus une section de
rebelles d’un coup.
• Je me souviens des distributions des prix de fin d’année et son lot
de sacs de couchage, de tentes, de disques et de livres, de notre
représentation de gymnastique rythmique, de la tribune avec toute la
crème des cadres de notre belle Compagnie et avec M.Michard qui
présidait l’assemblée.
• Je me souviens des cours de technologie machines avec M.Coudoin qui
nous expliquait le retour rapide de l’étau limeur à l’aide d’une
maquette mobile en plexiglas teintée avec sa projection sur un grand
écran… le top moderne de l’enseignement technique, nous étions très en
avance.
• Je me souviens du concours de poésie initié par M.Fleury.
• Je me souviens des cours de Français de M. Fleury, chaque vendredi,
où, les trois quarts du temps, il discutait avec son pote M.Peurozet.
• Je me souviens que nous suivions la progression de la guerre des 6
Jours, du Tour de France et des Rallyes automobiles dans la cour,
pendant la pose, sur un transistor.
• Je me souviens du mois de juillet 1967 ou nous avions du repeindre
les ateliers et salles de cours suite à notre indiscipline sous la
direction du vieux M. Ducroi. Enfin, je crois, crôa, crôa.
• Je me souviens de la 3ème année ou nous avions enfin le droit de
travailler sur les machines outils (tours et fraiseuses) de marque :
Ernault-Somua et Gambin.
• Je me souviens de la forge et du tas pour le façonnage des outils du
tourneur.
• Je me souviens de la visite de la fonderie de l’usine de Montrouge où
le cuivre et l’acier en fusion étaient transportés dans des creusets
par 2 ouvriers manœuvres… Je me souviens de la chaleur torride de cet
endroit.
• Je me souviens des ouvriers professionnels qui passaient les essais
d’embauche et de qualification chez M. Mérault, juste à coté de notre
atelier Machines.
• Je me souviens d’une discussion prémonitoire de la situation
politique en mars 1968 avec M.Mérault.
• Je me souviens que souvent le vendredi soir, après le « dess dus »,
nous nous retrouvions presque tous les copains de la section Technique
au café, en face de la mairie de Montrouge, pour boire un pot chez
Roger. Garçon aux cheveux roux, frisés et fort rigolo ma foi.
• Je me souviens du premier cours de dessin industriel de 3ème année
avec M.Peurozet, de la longue liste de matériel de dessin à acheter
(enfin du vrai sérieux !) et que, tout compte fait, il n’était pas
aussi terrible que l’on nous l’avait laissé croire.
• Je me souviens des petits « crobars » que l’on faisait pour le livre
de dessin industriel que M. Peurozet préparait.
• Je me souviens de ce cours du vendredi 10 mai 1968.
Curieusement les professeurs Fleury et Peurozet n’étaient pas des
nôtres au centre de formation. L’agitation estudiantine et parisienne
faisait la une des infos et des radios. Daniel et moi-même, après une
petite hésitation, nous décidâmes de sécher les cours de Dessin
Industriel pour aller prendre l’air à la Sorbonne et au quartier
Latin…Quatre jours après, l’usine de Montrouge était occupée et en
grève pour plus d’un mois.
• Je me souviens, ce même vendredi 10 mai 1968, de la rencontre avec Ms
Fleury et Peurozet, dans la cour de la Sorbonne occupée au milieu des
drapeaux rouges et noirs.
• Je me souviens de mon premier job d’aspirant technicien au mois
d’octobre 1968 : Tourneur sur tour semi-auto, au service décolletage
1223.
• Je me souviens des moments où toute la section se retrouvait chaque
soir après 17h00 et toute la journée du vendredi pour suivre les cours
du BP et du CAP dessin au centre de formation. Nous étions en 4ème
année.
• Je me souviens du dernier cours avec M. Peurozet, peu après l’épreuve
du CAP Dessin. Avant l’arrivée du professeur, nous avions été regarder
les notes des épreuves pratiques qu’il gardait dans son armoire…Il
était content de nos performances… et nous aussi.
• Je me souviens que nous suivions les cours du Centre National du
Télé-Enseignement en vu de la préparation au BP Mécanicien : cours de
physique, mécanique et électricité.
• C‘était M. Personne, ingénieur à la Compagnie, qui nous faisait cet
enseignement en nous lisant simplement les cours au fur et à mesure de
leur arrivée par courrier.
• Je me souviens de la fameuse « compoundation » des moteurs
électriques dont la lecture monacale dite d’une voie monocorde
n’intéressait que peu d’entres nous. Il nous faisait faire les
exercices et les envoyait au CNET pour correction.
• Je me souviens de ce cours sur les MST et sur l’alcoolisme ainsi que
des cours d’hygiène et du droit du travail dispensés par une vieille
fille en total contre emploi.
• Je me souviens qu‘ensuite nous ne nous sommes plus revus, tous
ensembles, pendant de longues années.
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